Découpageur & collagiste
 

Le procédé du collage consiste à rassembler dans une œuvre des éléments prélevés ailleurs. Ce qui est important et constitue tout l'intérêt de ce type de travail c'est le rapprochement des ces éléments, c'est la façon de les organiser entre eux. Du coup il importe peu que pour les faire rester en place on se serve de colle, de punaises, d'agrafes ou de fil à coudre.

Max Ernst l'avait déjà souligné " Si c'est la plume qui fait l'oiseau ce n'est pas la colle qui fait le collage ".


Une fois cela dit il devient impossible de donner aux artistes qui réalisent des collages le titre de colleurs ce qui mettrait la colle au premier plan. C'est donc tout naturellement qu'on lui a préféré le terme de collagiste qui insiste sur la dimension du collage.

C'est une dénomination désormais communément employée au point même que pour désigner les artistes qui arrachent les affiches ( Villeglé, Hains, Rottela, ... ) on a retenu le mot décollagistes.


Puisque le terme collagiste existe on aurait pu s'en contenter et ne pas introduire le néologisme découpageur, arguant notamment du fait que le découpage n'est qu'une étape dans la réalisation d'un collage.

Pourtant l'introduction de ce néologisme se justifie en ce qui concerne les travaux présentés ici, principalement dans le cas des fameux corpsceaux.







Sans trop entrer dans les détails, puisqu'un chapitre leur est consacré, disons que la façon dont ils sont découpés échappe à la logique anatomique. Elle obéit à des règles singulières qui font de ces découpures des objets originaux. D'autre part les corpsceaux constituent souvent des œuvres à eux seuls et ils sont alors exposés tel que sans être assemblés à d'autres fragments. Ils ne peuvent donc être considérés comme des collages. Ce ne sont que des découpages. Cela justifie pleinement qu'on donne à celui qui les réalise le nom de découpageur.


Et pour expliquer le choix de découpageur de préférence à découpeur on peut invoquer des arguments proches de ceux qui ont imposé collagiste. En effet ce qui importe c'est le morceau extrait et non la manière ou l'outil utilisé pour le détacher. On pourrait même ajouter que le fait de l'extraire de la page où il se trouvait n'est qu'accessoire. Il est possible par exemple d'isoler un élément de son contexte en fermant plus ou moins les yeux ou en faisant écran avec sa main. On obtiendrait somme toute un découpage. Mais il est évident que si l'on veut faire partager cette vision à d'autres il est préférable de découper le morceau et de le sortir du tout auquel il appartenait.


Malgré tout, le découpage n'a jamais été considéré comme une activité artistique à part entière. C'est sans doute qu'il était définitivement considéré comme une occupation attachée à l'enfance.


Pourtant c'est oublier deux choses.


D'abord que l'archaïque ( que ce soit du côté de l'enfant ou de celui du Primitif ) a nourri à l'envi l'art moderne.

Ensuite que l'on sait désormais que l'enfant qui joue ne se livre pas à un passe-temps stérile mais que le jeu lui permet de maîtriser le monde qui l'entoure et celui qui s'agite en lui. En s'adonnant au découpage on peut retrouver les gestes de l'enfant, revivre avec lui les émotions, les activités pulsionnelles, les stratégies perceptives et cognitives qu'il mettait en jeu dans ces moments-là, et saisir que, en découpant, en séparant, il apprenait à établir des catégories, à discriminer, bref, il posait là les bases d'une pensée analytique.







Plus tard, longtemps même après avoir abandonné les ciseaux, l'adulte continuera de découper. Il va isoler, mettre en exergue, extraire un élément, le sortir de son contexte pour mieux l'étudier.


Ici le découpage se propose d'agir de la sorte avec ces petits bouts, ces presque-rien, qui étaient si importants pendant un temps avant d'être fondus dans un grand tout où ils sont devenus invisibles.


Découper c'est permettre de les voir de nouveau. En fait c'est une manière de retour du refoulé, d'un refoulé qui ne serait pas caché, enterré dans les profondeurs inconscientes, mais invisible alors qu'il est sous les yeux de tous. L'inconscient ne serait pas que le royaume des ombres et des fantômes, il serait aussi l'incapacité de voir ce qui crève les yeux.( " Ils ont des yeux mais ils ne voient pas " ) Ainsi le coup de ciseaux pourrait bien être l'égal de l'interprétation du psychanalyste.







*