Ni firguratif
Ni non-figuratif
 

En s'intéressant de près aux corpsceaux ainsi qu'aux autres séries qui, d'une certaine manière en sont le prolongement ( corps coupu corps cousu, coripeaux, braise, ... ) nous nous sommes trouvés en présence d'objets à l'identité complexe, au pouvoir évocateur important et qui nous ont introduits dans des espaces singuliers entre monde réel et représentation, entre réalité physique et réalité psychique.

Il restait à leur accorder un statut représentatif, à les ranger dans une catégorie d'expression plastique du réel. Doit-on les accompagner jusqu'à la porte de la figuration ou au contraire jusqu'à celle de la non-figuration? ( On n'entrera pas ici dans le débat infini qui oppose ou confond non-figuration et abstraction. On ne va conserver que les deux catégories de la figuration et de la non-figuration et considérer que tout ce qui figure un objet réel est par définition figuratif quand tout le reste ne l'est pas. Cela suppose donc que toute réalisation doit obligatoirement appartenir à l'une ou l'autre de ces deux catégories. )


La chose nous est apparue clairement, les corpsceaux ne représentent, ne figurent rien qui existe, ni un corps, ni un membre, ni un organe. ( De toute façon ils ne cherchent pas à figurer quelque chose. Ils ne sont ni le dessin, ni la peinture, ni la photo d'un objet existant et sans doute auraient-ils du mal à le faire car avant de devenir des corpsceaux ils étaient déjà des représentations )






Donc s'ils ne figurent rien ils ne peuvent ressortir à la figuration.

Doit-on alors les considérer comme des œuvres non-figuratives? On peut difficilement répondre par l'affirmative car ils conservent des caractéristiques qui signalent qu'on a affaire à du corps ( Il est aisé de reconnaître le grain de la peau et même on peut sans trop se tromper deviner s'il s'agit d'une anatomie féminine ou masculine ) Il est donc impossible de prétendre que ce sont des réalisations non-figuratives.


Nous voici alors face à un constat troublant : les corpsceaux ne sont ni figuratifs ni non-figuratifs. Il y a là quelque chose d'absurde, d'impossible, d'impensable. Si les corpsceaux n'appartiennent à aucune des deux catégories du réel on devrait conclure qu'ils n'existent pas. Or, ils sont bien là sous nos yeux. On nage en pleine folie.


Alors, comment trouver une issue à ce paradoxe?

Peut-être d'abord en restant sur cette impression que ce que l'on constate là c'est de la folie. On ne serait plus dans le réel mais dans la folie. On l'avait compris, les corpsceaux nous racontent les avatars de la psychose, ils sont une représentation de ses objets. Voilà maintenant qu'ils nous ouvrent la porte de la folie, de sa présence dans la création. Car il ne s'agit pas là d'une représentation de quelqu'un atteint de folie, mais de la folie elle-même. On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si l'on peut parler de représentation de la folie. La représentation de la folie serait justement l'homme fou avec son entonnoir sur la tête. Ici c'est la folie proprement dite qui se donne à éprouver.


Si l'on revient aux catégories d'expression du réel on retrouve toujours les deux secteurs de la figuration et de la non-figuration, mais désormais il faut leur adjoindre un axe supplémentaire que, jusqu'alors, on ne voyait pas, celui de la folie ou plutôt celui susceptible de rendre compte de la folie mais qui peut aussi accueillir tout ce qui se démarque de la norme, de la logique comme certaines formes de création ou comme l'expérience du divan analytique. On pourrait, s'il fallait vraiment lui donner un nom, le baptiser d'axe du décalage.







Essayons de nous faire une représentation métaphorique de tout cela.

Imaginons que l'univers expressif est comme un livre ouvert posé à plat. La page de gauche est consacrée à la non-figuration et celle de droite à la figuration. Le spectateur embrasse les deux pages du regard mais ce qu'il ne voit pas c'est qu'il existe un feuille perpendiculaire aux deux autres. Installé bien en face du livre celui qui regarde n'a en fait dans son champ visuel que la tranche de cette feuille, autant dire rien, ou quelque chose qu'il ne peut voir. Pour qu'il la découvre il faut qu'il se déplace à droite ou à gauche, qu'il quitte la position " normale " où il se trouvait.


En fait il y a deux façons de s'écarter de cette position, ou sombrer dans la folie, ou prendre le risque de la connaissance au-delà du convenu.

Il y a ici comme une exhortation de l'art ( qui rejoint par d'autres chemins celle de la philosophie ou de la psychanalyse ) : " Déplacez-vous, changez de point de vue, osez flirter avec la folie, ce n'est pas une étrangère, c'est même votre plus ancienne locataire. " C'est en tout cas le moyen de la rencontre avec soi-même.